28 juin 1944, Blida, Algérie...
Le Wing/Commander Clive Stanbury du Squadron 624 met en route les moteurs de son Halifax (JP-242). Il doit traverser la Méditerranée et larguer en France occupée un commando américain de 15 hommes : l'OG Justine.
La mission de ce commando est de prendre contact avec le maquis du Vercors, encadrer les combattants de la Résistance, les former aux maniements des armes. De plus, le commando doit fournir du renseignement à l’état-major allié et pratiquer la guérilla sur les arrières de l'ennemi.
Stanbury doit larguer ses passagers au cœur du massif du Vercors, sur un terrain aménagé par la Résistance au sud du village de Vassieux-en-Vercors. Le nom de code de ce terrain est : Taille-crayon.
Blida, Algérie. 1944.
La veille, l'émission "Ici Londres" sur les ondes de la BBC avait diffusé, comme tous les jours, quelques messages personnels. Parmi ceux-ci, le message codé "Atarax grossit toujours" annonçait à la Résistance un parachutage sur le terrain Taille-crayon.
Au cœur de la nuit du 28 au 29 juin 1944, les 15 parachutistes se posent sans encombre par une nuit sans vent. Au sol, c'est la surprise, le comité de réception n'attendait pas un parachutage de personnels¹. Nathan Richman raconte : "Quand j'ai touché le sol, un français courrait vers moi dans le noir, tout ce que j'ai pu faire, c'est saisir mon Colt 45 et hurler le mot de passe -Nous sommes le cheval de Troie- "². Le caporal Murray se blesse légèrement à la cheville durant le saut. Une fois rassemblée, la section est conduite en bus à Vassieux et logée dans une grange du village, chez l'habitant ou à l’hôtel afin d'y terminer la nuit.
Ils pensaient se retrouver en zone de guerre, ils ont l'impression d'arriver dans un territoire déjà libéré.
Parachutage depuis un Halifax - Extrait de "Now it can be told" (1944)
Le lendemain, les quinze membres de l'OG, commandés par les First Lieutenants Vernon Hoppers et Chester Myers rencontrent le commandant militaire de la place, François Huet, dit « Hervieux ».
L’équipe est scindée en binômes qui vont s’éparpiller sur l’ensemble du plateau afin de former les maquisards au maniement et à l’utilisation des armes alliées parachutées. Une mission composée du First lieutenant Hoppers et du T/5 Calvert part en reconnaissance de l’aérodrome de Chabeuil d’où décollent les avions de la Luftwaffe qui survolent quotidiennement le Vercors. Ils en profitent pour aider le capitaine Durard à monter une embuscade sur un convoi allemand à La Vacherie. Cette reconnaissance aboutira à des demandes de bombardements répétées de l’État-major du Vercors auprès d’Alger et de Londres tout au long du mois de juillet. Le bombardement de Chabeuil n’interviendra qu’après la chute du Vercors.
Formation des maquisards
Le 10 juillet, l’OG au complet accompagne un peloton de l’escadron Bourgeois pour tendre une embuscade au col de Lus-la-Croix-Haute, sur la route nationale 75 qui relie Sisteron à Grenoble. L'affrontement a lieu au petit matin et une soixantaine d’allemands sont mis hors de combat, de nombreux véhicules sont détruits. Les maquisards perdent deux des leurs, Louis Picard, tué pendant la bataille et Jean Gayvallet, blessé, capturé et fusillé à Lalley.
L'entrainement des maquisards reprend. Une journée est réservée pour un tournage : Félix Forestier filme les américains. Ce sont les images visibles dans le film "Au cœur de l'orage". Le 14 juillet, le commando perd un de ses membres. Le lieutenant Myers, victime d'une crise d'appendicite, est opéré à l'hôpital du maquis à Saint-Martin-en-Vercors. Il sera ensuite évacué avec une partie des blessés à la grotte de La Luire. Capturé et épargné par les allemands, il finira la guerre comme prisonnier de guerre.
Myers - La Picirella - Hoppers
Lus-la-Croix-Haute
Musée de la Résistance du Vercors
Le 21 juillet, c'est l'attaque allemande. Les planeurs se posent à Vassieux. L'OG au complet quitte Saint-Martin-en-Vercors pour Vassieux, les américains participent aux contre-attaques à l’est du village pour le reprendre aux allemands. Le 23 juillet, le chef militaire du Vercors, Hervieux, donne l'ordre de dispersion. Les américains, comme les maquisards, vont se terrer dans les bois. C'est à Presles, après avoir traversé la Bourne à Choranche, que le commando va se cacher jusque début août, moment où, à bout de force, ils parviennent à sortir du Vercors et à traverser l'Isère à Saint-Marcellin.
Quitter le Vercors ne marque pas la fin de l'odyssée des membres de Justine : les armées alliées sont en Normandie, mais les forces allemandes sont toujours omniprésentes en Isère.
Pris en charge par la Résistance, ils vont rejoindre le maquis de Chartreuse en camion bâché, passant par Tullins, Moirans, Saint-Etienne-de-Crossey et Saint-Laurent-du-Pont. Après une nuit de repos, les américains traversent de nouveau l'Isère à Lancey et sont pris en charge dans Belledonne par le commandant Vauban, Albert Reynier, futur préfet de l'Isère. Tous souffrent de dysenterie, ils ont pratiquement perdu 15kg et trois d'entre eux ne pourront pas marcher pendant deux semaines, mais ils sont en sécurité.
15 août 1944, c'est le débarquement tant attendu en Provence. Les maquis alpins ouvrent la route des Alpes aux troupes américaines. Dans le Grésivaudan, les maquisards sortent des bois et mènent des actions de guérillas sur la route Grenoble-Chambéry. La section Justine accompagne les maquis et mène des actions de reconnaissance. Ce sont eux qui préviennent les forces américaines entrées à Grenoble le 22 août qu'une offensive allemande se prépare sur Domène au départ de Froges. Le 24 août, la section Justine arrive dans Grenoble libérée. Son action en territoire occupé aura duré 44 jours.
Les soldats allemands capturés et interrogés à la libération pensaient avoir rencontré l'équivalent d'un bataillon américain dans le Vercors, ils étaient 15...
_______________
¹ Operation Report "Justine" - National Archives and Records Administration
² Archives privées - Famille Richman
La section (moins Myers capturé) à Grenoble